Toute personne originaire de la Martinique et s’intéressant de près ou de loin à la tradition et au patrimoine culturel de l’île à déjà vu ou au moins entendu parler du Danmyé.
Diverses appellations sont utilisées (Danmié, Ladja, Kokoyé, Wonpwen) pour désigner, aujourd'hui, la même pratique définie, selon les préférences, comme : une danse de combat, un art de combat, un combat cadencé, un art martial.
Cette pratique guerrière oppose deux “danmyétè” ou “majo” ou “jwa”(lutteur) dans un “won” (cercle) formé par les supporters (Atlaj) et l'assistance, et régulée par “Mizik-la” (l'orchestre).
« Le combat réel, total, ce que les anciens appellent le « combat des initiés » est un combat ou tout est permis : coup de pied, coup de poing, coup de tête, coup de genou, lutte, accrochage »
Déroulement d’un combat :
Le principe peut être résumé ainsi: un lutteur doit prendre le dessus, sur son adversaire, tout en respectant la cadence imposée par les chants et les instruments. Les coups n’ont pas pour but de blesser et généralement ne touchent pas l’adversaire.
Il faut porter les coups et se placer en respectant le rythme. Si cette condition n'est pas respectée, le combat est arrêté et le lutteur fautif est disqualifié.
Les lutteurs déterminent l'espace de combat en effectuant une ronde au rythme du tambour, puis chacun trace un cercle invisible qui représente un espace magique. Toute personne qui pénètre dans le cercle est un adversaire.
Les points sont comptés en fonction du type de coup portés, le vainqueur peut être désigné des façons suivantes :
- au nombre de points obtenus pendant deux minutes de combat,
- par arrêt de l'arbitre qui juge un coup décisif, car susceptible d'entraîner un KO, s'il était réellement porté "coul'anmô" (coup fatal),
- en soulevant son adversaire du sol "lèvèfèsè "
- par immobilisation de l'adversaire "kakan".
Il existe par ailleurs un niveau de combat réel plus ancien. Le spécialiste du bèlè[1] martiniquais Pierre Dru expliquait ce qui suit dans un entretien accordé au journal Périphériques en 2000 : « Le combat réel, total, ce que les anciens appellent le « combat des initiés » est un combat ou tout est permis : coup de pied, coup de poing, coup de tête, coup de genou, lutte, accrochage. À l'époque, dans la ronde du danmyé, les combats ne commençaient pas avant dix ou onze heures du soir. La bonne heure était vers deux ou trois heures du matin. À ce moment-là, les grands, les forts arrivaient pour se battre. Et ceux-là se battaient à tous les niveaux du danmyé. Ils se battaient physiquement, mentalement, avec toutes les énergies qu'ils pouvaient maîtriser, honnêtes ou pas. »
L’environnement sonore :
L’environnement sonore est composé de trois éléments principaux :
-Le tambour: Son nom créole est 'le cocoyé", construit à partir de vieux tonneaux ou de barriques de bois qui ont servi à conserver le rhum. Son diamètre, plus petit que celui des tambours classiques, ainsi que sa peau de cabri femelle, lui donnent une sonorité plus claire.
-Le ti-bwa (pti bois) composé de deux baguettes de bois est fondamental c'est lui qui donne la mesure à deux temps, sur laquelle vont s'appuyer le « tambouyé » (joueur de tambour), le chanteur et les combattants.
-Le Chant : Pierre Dru expliquait la encore: « il y a une infinité de nuances dans le chant du danmyé, C’est une énergie de combat propre au danmyé, le chant règne dans le danmyéles ti-bwa, le tambour, modulent le chant et l'énergie de la ronde. »
L’environnement sonore est essentiel au combat et agit comme un stimulant sur les lutteurs à l'instar de la capoeira du Brésil.
« Les Noirs ont enlevé de leur culture tout ce qui était fortuit, superflu, pour ne garder que l'essentiel, ce qui leur permettait de maintenir les principes indispensables de vie, donc à l'époque, de résister. »
Les Origines :
Cet art est sans conteste un héritage culturel africain. Un consensus semble s’être établi dans la communauté des chercheurs sur l’origine du Danmyé comme étant le fruit d’un syncrétisme de traditions Sénégalaises, et Béninoises, en effet Pierre Dru expliquait dans son entretien: « ll y a eu un syncrétisme noir/blanc, mais on oublie souvent le syncrétisme qui s'est opéré entre les cultures africaines elles-mêmes. Les Noirs ont enlevé de leur culture tout ce qui était fortuit, superflu, pour ne garder que l'essentiel, ce qui leur permettait de maintenir les principes indispensables de vie, donc à l'époque, de résister. »
Les deux liens les plus évidents avec le Sénégal et le Bénin retrouvés par les chercheurs viennent principalement de la seconde appellation du danmyé le « Ladja »
En effet au Bénin existait la lutte KADJIA du peuple Basantché et à la lutte KOKOULE du peuple Kotokoli. Outre la parenté au niveau de la terminologie (ladja/kadjia, kokoulé/kokoyé), les ressemblances au niveau de la symbolique, de la fonction et de la technique d'expression corporelle sont manifestes.
Pour ce qui est du Sénégal, Cheick Antha Diop le grand égyptologue d'origine sénégalaise dans son ouvrage “Nations nègres et culture” (tome 2) explique que le terme “LAG-YA” est mentionné dans la langue Wolof du Sénégal. Lag désignant “la chevalerie” et ya “l'histoire” ; lag-ya serait donc “l'histoire de la chevalerie” sénégalaise. Ces chevaliers étant presque comparés à des samouraïs. Les « Lai »qui étaient des seigneurs dans les royaumes sénégalais, n'avaient pas le droit de manger seuls, de perdre un combat, ni de se battre avec un plus faible, sous peine d'être déshonorés et de se donner la mort.
Ci dessus un lutteur Sénégalais et un Majo Martiniquais.
Concernant l’origine du mot créole Danmyé en lui-même Pierre Dru livre la encore l’analyse suivante fruit des recherches pour sa thèse sur le sujet : « Si on s'en tient à la langue africaine, on trouve deux mots : le mot «ganm» et le mot «danm», dérivants de deux familles de langue africaine, qui signifient «initié». La particule «yè» désigne le groupe : ceux qui sont danm et/ou ganm ; danmyé voudrait dire alors: ceux qui sont initiés. Cela correspond au sens profond du danmyé, ceux qui se battent au niveau du combat réel (combat des initiés) : le « goumen » danmyé. »
En tout cas, la présence des arts de combat durant la période esclavagiste et l'origine africaine du danmyé ne peuvent être mis en doute. Moreau de Saint-Méry , chroniqueur européen de l'époque, en parle en ces termes : « Les nègres de la côte d'or, belliqueux, sanguinaires, accoutumés aux sacrifices humains, ne connaissaient que des danses féroces comme eux, tandis que les Congos, Sénégalais et d'autres africains, pâtres ou cultivateurs, aiment la lutte parmi leurs amusements favoris. Ils miment des combats et prenaient différentes attitudes de vainqueurs et de vaincus ».
Aujourd’hui :
Après la départementalisation en 1948, des décrets municipaux interdisent la pratique du Danmyé. Il faut attendre les années 60 et 70 avec la notoriété des groupes folkloriques et des mouvements indépendantistes pour voir un retour aux traditions et une remise au goût du jour du Danmyé. De nombreuses associations œuvrent pour la préservation de ce patrimoine et la transmission de ces connaissances, l’Association MiMèsManmayMatnik (AM4) multiplie les initiatives et les rassemblements autour du Danmyé avec notamment une école et des cours dispensés à tous.
Dans certains Lycées des professeurs martiniquais d’EPS proposent parfois aussi l’apprentissage de cette discipline aux élèves intéressés.
La tradition reste tout de même très présente et il n'est pas rare de voir des rassemblements lors de fêtes communales ou l'on pratique le Danmyé.
UMLA
Sources :
- Plateforme minimale de travail des écoles danmié AM4.
- Journal Les Périphériques vous parlent n°13 entretien avec Pierre Dru.
- Entretien avec Jean-Louis André, professeur d'EPS de l’ac-martinique
Crédit photo: Benny photo, France-antilles
[1]Le bèlè est une pratique musico-chorégraphique de Martinique qui mêle chant, musique, danse et conte.